Face aux dérives meurtrières des idéologies politiques et à l’émotion de toute la classe politique devant le nombre de victimes qui s’accumulent, le commandant Destran de la DGSI coordonne les enquêtes conduites dans toute la France.
Course-poursuite en voiture
… le choc avec l’eau ne fut pas très brutal…
Une forte pluie miraculeusement dissipée sur Paris avait
redessiné le paysage. Caniveaux remplis avec des piétons empruntés
esquivant les projections des voitures, enjambant les flaques d’eau.
Celles-ci, la nuit tombante avec les lumières de la ville, se laissaient
envahir par des formes fantasmagoriques. Les néons des magasins
semblaient encore pleurer. Les ombres des passants apparaissaient
diffuses. Une atmosphère digne d’un film noir, sans fond musical
mêlant quelques notes d’un air de jazz planant. La vie renaissait mais
avec prudence et tout en nuance, sur les grands boulevards de Paris.
La pluie n’avait pas comme parfois dégagé la brume de pollution
avec ses halos résiduels. Des personnes craintives déambulant dans
une rue mal éclairée ne pouvaient que ressentir une certaine forme
d’inquiétude et avaient accéléré leurs pas. Dans les endroits où la
pénombre était omniprésente, les fenêtres et les murs s’estompaient.
Tout semblait pouvoir arriver.
Deux voitures se suivaient à forte allure. Aucun piéton ne
s’aventurait à traverser. Certains s’étaient réfugiés dans les
bars, d’autres se reculaient pour éviter d’être aspergés. Les plus
malchanceux ou les hésitants n’ayant pas eu cette précaution ou le
réflexe, commençaient par contempler leurs vêtements gorgés d’eau
puis relevaient la tête, prêts à insulter en gesticulant les chauffards
qui remettaient en cause leur soirée. Aller au restaurant, chez des
amis, au cinéma, un calvaire face à l’inconfort de la situation.
Les réflexions fusaient sur ces inconscients et le monde semblait
s’arrêter en attendant l’accident inévitable. C’était aussi habituel.
À la nuit tombée, les automobilistes semblaient oublier tout sens
civique. L’obscurité annihilait toute mesure comportementale et
tout interdit. Et comme si la chance aidait toujours les transgressifs,
les deux véhicules traversaient les carrefours sans encombre malgré
le non-respect des feux de signalisation. Bien évidemment comme
le pensaient ces spectateurs malgré eux, pas de voiture de police
à ce moment. Des téléphones portables enregistraient l’événement
qui promettait une belle audience si un fait improbable arrivait :
choc avec une autre voiture, arrêt par les forces de l’ordre avec
refus d’obtempérer, peut-être même une bavure policière. De quoi
alimenter les réseaux sociaux et avoir sa minute de gloire artificielle.
Règne de la bêtise, comme dans un concours d’imbécillité où la
réflexion et l’intelligence étaient absentes.
Dans la première voiture deux militants d’extrême gauche
cherchaient à fuir leurs poursuivants. Tout les opposait au départ.
Lucas Boiron toujours étudiant malgré ses vingt-huit ans, fils d’un
couple de médecins, n’avait jamais manqué de rien. Par bravade
à l’adolescence, puis par ennui intellectuel, il s’était rapproché à
l’université d’une forme de militantisme gauchisant. Non pas
par croyance réelle mais plus par mimétisme et désœuvrement.
Et surtout parce que son mode de vie d’enfant puis d’adolescent
confortable, sans interdit, l’avait rendu influençable. C’était aussi
comme s’il ne pouvait exister que contre quelque chose. Trouver
un sens à sa vie quitte à abandonner toutes les valeurs familiales et
devenir un être sectaire, disponible pour toute action du moment
qu’il s’agissait de s’attaquer à la société, de remettre en cause
l’ordre établi. Il avait d’ailleurs rompu avec sa famille. Perdus les
rêves d’enfant. Oubliées les discussions avec ses grands-pères.
Dans sa psychologie finalement primaire, il fallait tout raser pour
repartir à la base. Peu importait comment, avec qui et surtout à quel
prix. À une autre époque il aurait pu appartenir aux tenants de la
révolution permanente. Ce comportement pouvait paraître d’autant
plus surprenant que tout était rassemblé sur sa personne pour mener
une vie à l’opposé de celle qu’il s’infligeait. Un physique agréable,
un regard pétillant, un sourire de séducteur, un caractère extraverti
tourné vers les autres le prédisposaient à multiplier les aventures
amoureuses.
Mathieu Lantier, dans le début de la trentaine, était professeur
d’histoire de la seconde à la terminale dans un lycée lyonnais.
Issu d’une cité de Vénissieux, il s’était construit lui-même.
Malheureusement il avait été rattrapé par quelques démons. Plusieurs
de ses copains d’enfance étaient soit en prison, soit décédés. Tout
ceci dans un ensemble de causes plus ou moins nettes, mais avec
en arrière-fond une marginalisation sociale subie et non assumée.
Il avait gardé des contacts avec certains d’entre eux. Pour ne pas
sombrer avec son esprit tourmenté, il s’était inféodé à une cause
politique, militante très active. De caractère assez sombre, plutôt
introverti, il n’attirait pas facilement les élans de sympathie. Sa
ligne de réflexion était plus complexe et nuancée que pour Lucas.
Mais ils s’étaient trouvés lors du meeting politique d’un responsable
de parti en vue au sein du microcosme parisien politico-médiatique.
Autant Boiron, sans être corpulent, présentait une carrure
d’athlète et une certaine musculature, autant Lantier semblait aussi
maigre qu’un loup en hiver. Le premier, blond aux yeux bleus, le
second, cheveux noirs et yeux marron, avec une barbe clairsemée,
comme si elle avait des difficultés à pousser sur un terrain stérile.
Leurs différences expliquaient peut-être leur rapprochement dans
l’action politique. Des personnalités opposées mais avec un mode
de pensée et surtout une vision idéologique en commun. Dans la
voiture la tension était à son comble.
À un croisement, leur voiture était passée de justesse devant un
bus. Les poursuivants avaient dû s’arrêter quelques instants d’autant
que le conducteur du bus avait ralenti par crainte d’un choc et bloquait
la circulation. Aussitôt Lucas s’était engouffré dans une rue parallèle
puis avait de nouveau tourné. En l’absence des poursuivants dans le
rétroviseur, il s’était ensuite dirigé en contrebas vers les quais de la Seine, après avoir emprunté plusieurs petites rues, tournant ainsi
plusieurs fois.
La voiture sur un quai, ce fut Lucas qui dicta la conduite à tenir.
Bien que plus jeune, il avait l’ascendant sur Mathieu, sans doute à
cause de son physique dominant.
— Détache ta ceinture et ouvre ta vitre.
— Que vas-tu faire ?
— Je vais jeter la voiture dans l’eau et on va se laisser porter par
le courant ensuite en longeant la rive.
— On va se noyer !
— Mais non, fais comme moi et suis. En longeant le bord, le
courant n’est pas très fort.
Le choc avec l’eau ne fut pas très brutal, mais elle était froide et
ils ne pourraient y rester très longtemps. Les deux hommes sortirent
de la voiture rapidement sans trop de difficultés. Ils se dirigèrent
en aval vers plusieurs péniches accostées à quelques centaines de
mètres. Puis, ils passèrent à côté des premières et à l’aide des amarres
se hissèrent sur le pont de la dernière qui semblait inoccupée.
— On se cache derrière la cabine sous la bâche et on attend
jusqu’au matin.
— Si les propriétaires nous découvrent ?
— Il sera toujours temps d’improviser. Pour le moment on est
à l’abri des fachos. Commence par dormir, je te réveille dans deux
heures. On a besoin de récupérer. La bâche est épaisse et nous
protégera aussi de la fraîcheur. En plus on a de la chance, elle ne
dégage pas trop d’odeur.
— Pourquoi nous ont-ils ciblés et comment nous ont-ils
identifiés ?
— Il peut y avoir plusieurs raisons. On y réfléchira plus tard.
— D’accord, mais des gens vont prévenir la police qu’une voiture
est tombée dans l’eau et des recherches vont être effectuées. Tu ne
crains pas que nos empreintes soient relevées ?
— Peut-être, d’autant que tu as laissé des affaires personnelles
dans le coffre. On saura assez vite ce qu’il en est.
Pendant ce temps, les occupants du second véhicule étaient
arrivés sur le pont dominant la zone où la voiture avait coulé. Ils se
mêlèrent aux curieux. Les trois hommes, entre vingt et trente ans,
étaient assez dissemblables et, dans la foule, on ne les remarquait
pas. Pas de signe particulier, si ce n’était qu’aucun ne souriait. L’un
d’eux apostropha un couple de curieux qui se tenait par la main.
— Que se passe-t-il ?
— Une voiture a plongé dans la Seine.
— Il y avait des personnes ?
— On n’a rien vu. La police a été prévenue.
— Dans cette eau et avec le choc, il y a peu de chances que le ou
les occupants s’en sortent.
Les trois individus, membres d’un groupuscule d’extrême droite,
quittèrent rapidement les lieux. En remontant dans leur voiture ils
virent arriver deux équipages de police ainsi qu’un véhicule de
pompiers.
— Tu crois qu’ils se sont noyés.
— Difficile à dire même si on peut toujours l’espérer. L’eau est
froide et le courant doit être assez fort quand on voit des branches
d’arbres dériver. On lira les journaux demain.
— Bon, rien de plus à faire, évitons de nous faire repérer.
— De toute façon, il faut se débarrasser rapidement de la voiture.
La course-poursuite dans les rues de Paris a dû être enregistrée en
vidéo surveillance ou sur des smartphones.
— On va la brûler dans un terrain vague.
— Oui, on essuie quand même nos empreintes avant, c’est plus
prudent.
Simultanément, les plongeurs des pompiers de Paris, ceux de la
brigade fluviale avec leurs embarcations spécifiques, commençaient
les recherches. La rapidité d’intervention avait été fulgurante.
Beaucoup des badauds qui traînaient encore pensaient que les eaux
froides et noires servaient une nouvelle fois de cercueil.
Il faudrait attendre le lever du jour pour être plus efficace.
Le lendemain en fin de journée, les pompiers stoppèrent les
recherches en aval du point de chute du véhicule. La voiture avait
été remontée avec précaution au moyen d’une grue pendant la
matinée. La fouille ne permit de trouver que des documents au nom
d’un certain Mathieu Lantier. Aucune adresse. Des copies de classe
d’exercices d’histoire-géographie laissaient à penser que l’individu
était enseignant, visiblement dans un lycée.
La police en déduisit rapidement que ce Lantier était le seul
occupant du véhicule et que son corps avait dû être emporté par le
courant après qu’il eut tenté de s’échapper. L’absence de fermeture
de la ceinture de sécurité du conducteur semblait l’attester. Son corps
serait sans doute retrouvé dans quelques jours bien en aval de la
Seine. Deux alertes furent données. L’une au niveau des communes
situées le long du fleuve, l’autre au niveau de l’éducation nationale
pour rechercher un enseignant disparu.
Quant aux images enregistrées par les caméras à proximité des
quais, leur analyse ne faisait que commencer.
Il suffisait d’attendre.
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