Roman : Sombre Incertitude – Editions Baudelaire par Al Baron

Roman : Sombre Incertitude – Editions Baudelaire par Al Baron

Résumé

Le déroulement de la vie ne correspond jamais à ce que l’on imagine. D’autant plus lorsque l’on est commandant de police et que les enquêtes révèlent tous les ressorts de l’humanité. Sollicité par le directeur d’une grande société pharmaceutique, Marc Rostand, nouvellement affecté à Paris, ne pensait pas découvrir une complexité d’évènements et une réalité méconnue, dans ce domaine de la recherche et des grandes entreprises.

Mais comme dans toutes les enquêtes c’est la nature humaine et ses faiblesses qui provoquent les déséquilibres à l’origine des événements.

Pour son second roman, moins régionaliste que « De la vie à la Mort », Al Baron nous accompagne dans univers au sein duquel la psychologie des individus gouverne les conduites pour le meilleur et le pire. L’homme est certainement porteur de ses propres rêves mais aussi de ses cauchemars. La réalité finit toujours par l’emporter sur le rêve. Comme si les individus ne maîtrisaient pas l’essentiel et restaient prisonniers de leurs habits, de leurs rôles.

« Sombre incertitude » confirme à la fois la lucidité de l’auteur, une certaine forme de pessimisme, mais aussi malgré tout son attachement à l’homme pris dans sa soif d’absolu et en conséquence dans ses tourments, dont le principal demeure l’incertitude du futur à la suite des embuches, des contrariétés du quotidien.

Premier chapitre

Conakry, Presqu’île de Kaloum : fin octobre 2012

De bonne heure ce matin, l’océan était calme. L’archipel de Loos avec ses trois îles principales protégeait la côte et particulièrement le port de Boulbinet ainsi que la plage située devant le Palais des Nations aux formes rappelant un stade. Dans la baie, les carcasses de bateaux émergeaient laissant entrevoir des masses sombres multiformes, géométriques et tourmentées. C’était tout ce qu’il restait des épaves désossées au chalumeau par les guinéens récupérant les métaux. On se doutait aussi qu’en dessous du niveau de l’eau, la majeure partie d’entre elles prenait le temps de rouiller en servant d’abris aux poissons et mollusques.

La plage, bordée par des baraques en bois sur pilotis, était couverte de sacs et déchets. Les vautours, profitant du calme, cherchaient en rodant maladroitement sur leurs pattes quelques nourritures. Leur aspect inquiétant n’était pas très ragoutant et inspirait une certaine répulsion. On avait l’impression qu’ils étaient par nature sales, affamés. Leurs cous d’un blanc douteux paraissaient étranges. Dans le courant de la journée, ils laisseraient la plage à de jeunes guinéens avec leurs ballons de football. Les prédateurs survoleraient même l’ancien hôtel Novotel, devenu l’Hôtel de l’Indépendance, et les personnes qui profitaient de la piscine pourraient voir ces oiseaux au-dessus de leur tête planant tranquillement à la recherche de nourriture, de déchets, comme dans une prémonition de fin du monde.

La brume matinale en cette saison laissait penser que le soleil ne  paraîtrait pas encore nettement aujourd’hui et que  la luminosité blanche se diffuserait à travers un filtre cotonneux et anesthésiant. A cet instant, un peintre aurait pu traduire avec son art cette impression d’immobilité et de calme, offrant à l’observateur une interprétation des couleurs d’une mer sans remous, en attente de quelque chose, d’un événement, en sortie de l’endormissement.

Dans quelques instants, l’animation commencerait avec l’arrivée des pêcheurs. De jeunes hommes porteraient avec rapidité les caisses alourdies de poissons de leurs bateaux et pirogues aux étals du marché situé à quelques mètres. Les couleurs et motifs de décoration des embarcations se concurrençaient avec des bleus, rouges, verts et jaunes pour la plupart. Des noms comme Barakouda, Samo, le bon goût des fruits, Jésus avec moi, Novotel, parfois une maxime… alternaient en donnant une impression de désordre, sans code préétabli. Autant d’appellations laissées à l’imagination très créatrice. Parfois, un  bateau surchargé chavirait surtout par mer agitée et les morts pouvaient se compter par dizaines.

Le marché allait débuter quand un groupe de quelques personnes venant de la corniche sud, après l’ancien cimetière communal de Boulbinet, découvrit à proximité de la maison du syndicat national des pêcheurs artisans guinéens, au milieu d’un tas de détritus le cadavre d’un homme blanc, en costume. Immédiatement un attroupement se fit.

Aussitôt les forces de l’ordre furent prévenues et très rapidement un peloton de militaires arriva. L’officier responsable, le capitaine Félix Camara, donna ses consignes et les curieux furent écartés afin de rétablir un peu de calme dans l’agitation provoquée par cette découverte. Le cadre paraissait surprenant : endroit populeux et pauvre voire délaissé, corps étendu ne portant pas de trace visible en dehors de marques autour du cou, vêtements et chaussures d’aspect très sales et en partie tachés. Le sol avait été tellement piétiné qu’il ne fallait pas espérer trouver des indices.

Le capitaine chercha en vain des papiers d’identité mais remarqua que le costume portait le nom d’une marque française avec la référence d’une boutique parisienne. Aucun bagage ne se trouvait à proximité et dans le tas d’immondices, la recherche s’avérait vaine. Ses premières réflexions furent que le corps devait être là depuis plusieurs heures et il ne comprenait pas que les forces de l’ordre n’aient été prévenues qu’aussi tardivement.

Il décida de scinder son équipe en deux.  Une partie aux ordres de son lieutenant Sekou Conate questionnerait les personnes environnantes, notamment les pêcheurs et commerçants, mais surtout essaierait de déterminer si le cadavre avait pu être dépouillé. Un mort pouvait représenter une aubaine avec la récupération d’argent, de papiers d’identité, d’objets divers, même si la montre était toujours au poignet de la victime. Même de faible valeur, elle aurait dû disparaître. L’autre partie de son équipe ramènerait le corps pour autopsie à l’hôpital Ignace Deen, un des deux CHU de Conakry, situé dans le quartier de Sandervalia vers le port de pêche de Téminétaye. Lui-même se rendrait à l’ambassade de France.

Camara avait pris soin de prévenir sa hiérarchie, le colonel Moussa Fofana, auparavant ainsi que les services protocolaires. Cette enquête avec un blanc assassiné risquait d’être difficile et surtout délicate. Etre prudent, le début de la sagesse. Se présentant à l’ambassade, il parla quelques instants avec un conseiller de l’ambassadeur, Luc Divoire, lui proposant de venir à la morgue pour voir le cadavre. Il lui montra les photos prises avec son téléphone portable et notamment un portrait de l’homme décédé. Il supposait au vu de la marque des vêtements qu’il s’agissait d’un français. Rendez-vous fut fixé le lendemain matin.

Une fois le capitaine parti, Divoire se rendit dans le service s’occupant des résidents : il y avait effectivement une probabilité qu’il s’agisse d’un ressortissant français même si l’on n’avait signalé aucune disparition dans la communauté française séjournant à Conakry particulièrement ou dans l’ensemble de la Guinée. Mais parfois les informations n’arrivaient qu’après plusieurs jours pour les expatriés. Les résidents de Conakry se concentraient sur quelques lieux d’habitation, leur mobilité était certaine et la capitale de Guinée s’étendait sur une presqu’île de plus de trente kilomètres. Pour le reste du pays, si le réseau routier s’était amélioré depuis les dernières années, les embouteillages dans les rues de terre rouge ne facilitaient pas la rapidité des échanges, même si le téléphone mobile très répandu offrait des facilités de communication.

Le meurtre avait été commis dans la commune de Kaloum, l’une des cinq communes de Conakry avec celles de Dixinn, Ratoma, Matam et Matoto.  L’ambassade de France, située dans la même commune, plus au nord vers la cathédrale Sainte-Marie et le palais présidentiel, n’était finalement pas si éloignée de la scène de crime.  Le quartier de l’ambassade était un endroit relativement calme par rapport à l’effervescence qui régnait dans d’autres rues de la capitale guinéenne, avec les trottoirs envahis de marchands ambulants, d’autres submergés par l’amoncellement de meubles africains où le bois rouge se disputait avec les canapés et fauteuils aux revêtements en peau tannée, ou encore les ferronneries. Comme dans beaucoup de pays, le commerce se faisait dans la rue avec les produits sur les terre-pleins, ou dans des baraquements de construction précaire. Dans d’autres rues, en général rejoignant les grands axes, les nombreuses ornières qu’on ne pouvait assimiler à des nids de poule mais plus à des nids d’autruche, les caniveaux très profonds à cause des fortes pluies, constituaient un danger pour la circulation mais aussi les piétons. Et partout, des tas de déchets plus ou moins importants, avec des poulets en liberté.

Le lendemain, Luc Divoire se rendit à la morgue de l’hôpital Ignace Deen. L’autopsie n’avait pas été encore réalisée. Il reprit des photos plus conformes à celles d’un passeport et un nouveau rendez-vous fut fixé.

Deux jours plus tard, le capitaine Camara et Divoire se retrouvaient pour dresser un point de situation. Le conseiller indiqua à l’officier que le corps était vraisemblablement celui d’un français, Bernard Dromant, travaillant pour une grande société pharmaceutique Pha T and B, acronyme pour Pharma Travis and Brothers. On attendait des renseignements dans la journée de sa société, mais il semblerait être venu seul à Conakry.

Le lendemain, Divoire fournit à l’officier guinéen d’autres informations plus précises. Bernard Dromant, venu à Conakry pour des raisons professionnelles, avait plusieurs rendez-vous avec des médecins et pharmaciens des deux CHU Ignace Deen et Donka ainsi qu’à la Pharmacie nationale de Guinée. Divoire remit au capitaine les noms des interlocuteurs qu’aurait dû rencontrer la victime, renseignements fournis par sa secrétaire, très perturbée par l’annonce du décès du directeur.

La pièce dans laquelle se trouvaient les deux hommes, fortement climatisée, commençait à donner des envies d’éternuer à Divoire. Il ne comprenait pas pourquoi les africains recouraient autant à la climatisation alors que lui, un européen pourtant plus sensible à la chaleur, ne supportait qu’un réglage assez faible.  Cette atmosphère devenant glaciale ne lui convenait pas.

Le surlendemain, les deux hommes se  retrouvaient à l’ambassade. Le capitaine Camara présenta les informations en sa possession.  Tout en étant précises, elles ne fournissaient aucun élément sur le meurtre lui-même.

Bernard Dromant était arrivé à l’aéroport suite à un vol  depuis Paris. Pris en charge par un taxi réservé par sa société, il s’était rendu à l’hôtel Camayenne, situé en face d’un marché de bibelots, instruments de musique, masques et statuettes  d’art guinéen. Il était sorti le soir pour dîner à son premier rendez-vous avec deux chirurgiens de l’hôpital de Donka, le CHU situé vers la grande mosquée Fayçal, une des plus grandes mosquées au monde. Ils avaient dîné au Petit bateau, restaurant situé au nord-est de Kaloum au début de la jetée du port. Les trois hommes s‘étaient quittés, Dromant prenant un taxi  pour son hôtel, les deux guinéens, dans la voiture de l’un des deux, puisqu’ils résidaient dans le même quartier. A la réception de l’hôtel on avait indiqué que Dromant n’était pas monté dans sa chambre, restant dans un fauteuil  pendant un certain temps à l’accueil. Le réceptionniste ne l’avait plus aperçu, mais n’y avait pas prêté attention particulièrement. Il était donc probable que Dromant soit ressorti seul ou avec quelqu’un. Quoiqu’il en soit son lit n’avait pas été défait et il était vraisemblable qu’il ne soit pas retourné dans sa chambre, la valise n’étant pas ouverte. Information complémentaire, aucune prostituée ne trainait dans les parages ce soir-là, mais ceci ne voulait rien dire de définitif en la matière, même ou surtout pour un étranger arrivé le jour même. Dans son agenda, il avait prévu aussi un concert de Tamara, spécialité guinéenne, mais le lendemain de son assassinat.

Sa secrétaire avait rappelé l’assistante de Divoire pour fournir quelques précisions supplémentaires et notamment que Dromant avait prévu de ramener un djembé malinké pour le mettre dans son bureau. Il aimait bien parler de ses deux passions, malgré son caractère taciturne et secret : les percussions surtout africaines et l’art roman. Le lien entre les deux ne semblait pas évident à l’assistante de Divoire.

L’autopsie révéla que Dromant avait été assommé puis étranglé. Les interrogatoires des différents médecins et pharmaciens guinéens avec lesquels des rendez-vous étaient programmés ne révélèrent qu’une seule chose. Dromant travaillait sur des protocoles d’essai internationaux pour des produits pharmaceutiques dans le domaine de la neurologie.

Rivoire adressa une copie de ces protocoles à Paris au Ministère des affaires étrangères avec l’accord de l’ambassadeur. Il était en effet intrigué par le fait qu’une société internationale du type de Pha T and B prenne en charge des essais et protocoles de recherche aussi spécialisés apparemment en Guinée dans une discipline comme la neurologie, même si la médecine guinéenne était réputée. N’ayant pas les compétences d’un médecin ni d’un chercheur, il laissait le soin aux experts à Paris de vérifier ce point, et le signala au capitaine guinéen sans rentrer dans le détail.

Par acquis de conscience, mais aussi pour ménager les bonnes relations, Luc Divoire invita Camara à déjeuner. Ils allèrent au Damier, restaurant tenu par un français, table à la qualité intéressante avec son mélange de cuisine européenne et africaine. Il était situé  à proximité du marché du Niger, lieu de bonnes et mauvaises affaires, endroit toujours en effervescence jusqu’à la tombée de la nuit, mais particulièrement sur la période de midi et qu’un occidental ne devrait pas fréquenter seul.

Malgré l’insistance du colonel Moussa Fofana, le capitaine Camara n’avait pas trouvé de piste et tout le monde pensait à un meurtre sordide perpétré par un ou plusieurs inconnus pour une raison incertaine. Le plus plausible restait le vol puisque l’on n’avait pas retrouvé son portefeuille, même si la montre était restée au poignet de la victime. La grande question résidait justement dans l’absence d’explication de la venue de Dromant dans un quartier, mal éclairé, à une heure aussi tardive et que l’on ne pouvait considérer comme touristique, bien au contraire. Quant à la recherche d’un taxi ayant pu déposer un blanc en pleine nuit, la cause était désespérée avec les multiples possibilités et le gain facile.

                Quinze jours plus tard, le meurtre n’était toujours pas élucidé, le corps avait été rapatrié à Paris. Conakry connaissait toujours la même activité avec ses femmes très fières dans leurs boubous colorés, ses piétons traversant au milieu des flots de véhicules de tout âge, rafistolés, dont pour certains on se demandait comment ils pouvaient encore rouler, avec leurs réparations de fortune.

Divoire, après discussion avec l’ambassadeur, était arrivé à la conclusion qu’il avait fait le maximum à son niveau et que si Paris estimait le contraire, les autorités françaises dépêcheraient un enquêteur pour procéder aux investigations en lien avec leurs homologues guinéennes. Après tout, il avait choisi une carrière dans la diplomatie  à la fin de ses études et non dans la police criminelle.


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